En banlieue, des lycéens motivés pour faire durer le mouvement
LEMONDE.FR | 19.10.10 | 19h05 • Mis à jour le 19.10.10 | 20h40
Mardi matin, 10 heures, devant le lycée professionnel Paul-Bert de Maisonss-Alfort (Val-de-Marne). Deux bataillons de policiers, casques, boucliers et matraques à la main, patientent, non loin des portes tenues depuis le début de la matinée par des dizaines d'élèves, qui organisent tous les jours le blocage depuis une semaine.
Cette fois-ci, pour la première fois depuis le début du mouvement, les choses ont légèrement dégénéré. Un début d'incendie de poubelle a été maîtrisé par l'équipe pédagogique, qui a reçu, au passage, quelques projectiles, forçant la proviseure à appeler les forces de l'ordre, par prévention.
"C'est pas nous, c'est des gens venus d'ailleurs qui ont fait ça !", jurent les jeunes, rassemblés en petits groupes dans la rue à quelques mètres de la police, qu'ils provoquent à coup de blagues graveleuses. "Mettre des flics près des blocus, ça fait monter la température pour rien. S'ils n'étaient pas là, les gens resteraient comme ils sont, pacifiques et tout", explique Hadrien sous la capuche de son sweat. Il est sorti du lycée il y a 2 ans, mais est revenu pour participer aux manifestations de son lycée contre la réforme des retraites, "parce qu'à Nanterre [où il étudie le droit], y a pas de mouvements".
MOTIVÉS CONTRE LA RÉFORME
Le mouvement, cette cinquantaine de lycéens black-blancs-beurs qui habitent Maisons-Alfort et Alfortville, mais aussi Vitry, Villeneuve-le-Roi, Ivry, Choisy-le-Roi ou encore Orly, est motivée et organisée pour le faire perdurer. Sous la direction d'Auge, en première PCM (production et conception mécanique), qui "mène la danse" du jour à l'aide d'un plot orange transformé en porte-voix, ces jeunes ont participé à plusieurs réunions d'informations autonomes et sont désormais presque incollables sur les conséquences de la réforme.
Et contrairement à leurs camarades parisiens, personne ne parle d'être là "pour le fun et rater les cours", mais bien pour "protester contre la réforme et le travail jusqu'à 62 ans", selon Johan, 15 ans. L'élève de seconde, qui vit cité des Bleuets, à Créteil, se voit déjà être technicien d'usine, mais "pas jusqu'à 67 ans. Ça va pas ou quoi ? Il faut voter un autre texte, j'espère que messieurs les sénateurs et députés feront ce qu'il faut pour revenir sur l'âge de la retraite et les taux pleins, sinon, c'est simple, le bazar continue."
Si le combat est dirigé contre la loi "et la dégradation du chômage des jeunes", s'y joignent des revendications liées aux problèmes rencontrés au lycée. Tous font état de classes "avec trop de monde" et se plaignent du manque de personnel enseignant. "On a déjà changé trois fois de profs depuis le début de l'année. Ils arrivent, ils repartent, résultat y a des semaines où on manque 5, 7, 10 heures de cours", raconte Danaë sous ses tresses, en première SEN (système électronique et numérique).
Derrière pointent également les conditions du marché du travail, auquel ils sont déjà confrontés lors de leurs stages professionnels. "Personne veut nous prendre, râle Servan, aussi en première SEN. Parce qu'on est trop jeunes, ou parce qu'on vient de Paul-Bert : un jour, y en a un qui a volé des trucs dans une entreprise, le mot a tourné, c'est comme si y avait en permanence écrit "caillera" sur nos têtes. On est un lycée super calme, mais on garde l'image de fouteurs de merde."
LA STRATÉGIE DU "POIL-À-GRATTER"
Un dernier point qui est, justement, à l'ordre du jour des contestations lycéennes, parasitées par des scènes de guérilla urbaine menée par des groupes extérieurs. Beaucoup les condamnent ("casser, ça sert à rien, ça nous donne un sale rôle et ça joue le jeu de l'Etat") et s'organisent même pour éviter les violences lors de la manifestation parisienne de l'après-midi, avec un service d'ordre improvisé par les élèves destiné à "négocier avec les flics et les casseurs"
Au-delà de la condamnation, cependant, beaucoup comprennent aussi les motivations de ces groupes, dont ils ne partagent pas les méthodes mais plutôt la stratégie "du poil-à-gratter" destinée à durer. "Faire la grève du RER ou manifester à Paris, ça ne sert à rien. Il faut continuer à emmerder l'Etat, sinon il ne s'occupe pas des jeunes, explique Sébastien, en seconde. Sarkozy, c'est sûr que ça va pas lui plaire qu'il y ait des images partout dans le monde de jeunes comme nous en train de brûler des voitures. Pour la réputation de la France, il va être obligé de faire quelque chose."
L'avis est partagé par la plupart des élèves qui l'entourent : les casseurs traduisent une volonté plus générale de vouloir "se défendre" contre le manque d'attention portée à la jeunesse des banlieues. Même si les réalités "des ghettos et des grosses cités craignosses" ne concernent pas la majorité des lycéens de Paul-Bert, elle nourrit leur contestation.
"Les quartiers sensibles restent des lieux dont personne ne s'occupe, des déchetteries où les flics ne viennent plus, et on envoie que les profs pourris, jeunes ou sans formation. Pendant ce temps-là, la mairie ne donne des sous qu'aux zones pavillonnaires... C'est comme pour les retraites, en fait, les privilégiés restent privilégiés, et ceux qui se font avoir en ont marre. C'est pour ça que les jeunes se rebellent. Et chacun ses méthodes : ça dépend juste si t'es à l'école, et que tu t'organises plutôt calmement, ou si tu y es pas, et là, c'est la guerre", résume Sébastien.
Raison pour laquelle le mouvement de blocage des lycées n'en est, selon la majorité des lycéens de Paul-Bert, qu'à ses débuts, et se poursuivra après les vacances de la Toussaint si le texte n'est pas modifié.
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